Tribune LGBTI, Pink blocs : Pourquoi faire ?

Tribune LGBTI, Pink blocs : Pourquoi faire ?

Le collectif Inverti·e·s a été à l'initiative d'une tribune LGBTI unitaire signée par plus de cent personnalités, organisations, collectifs et lieux LGBTI contre la réforme des retraites. Il a également été moteur du retour des pink bloc dans les manifestations. Par ce billet, le collectif revient sur les détails et les objectifs de ces initiatives.

Par Les Inverti.e.s ·

Mouvement social, mouvement LGBTI : je t'aime, moi non plus.

Le collectif inverti·e·s a Ă©tĂ© lancĂ© en septembre 2022 sur la base de plusieurs constats, d’une part, sur la volontĂ© d’un mouvement LGBTI plus offensif, qui sache se dĂ©fendre et qui soit au moins Ă  la hauteur des attaques que nous subissons. En effet, nous gardons le souvenir amer de la pĂ©riode 2012 et du dĂ©ferlement d’homophobie dans la sociĂ©tĂ© dont nos organisations respectives n’ont pas rĂ©ussi Ă  endiguer la force. Les reprĂ©sentants de la “manif pour tous” ont dĂ©ferlĂ© sur tous les plateaux, les manifestations Ă©taient importantes, et, autour de nous, dans nos familles, parmi nos collĂšgues et mĂȘme parmi nos ami·e·s, ont germĂ© des idĂ©es rĂ©actionnaires. Nous n’avons eu de cesse de devoir nous dĂ©fendre, nous, nos vies, nos droits. L’extrĂȘme droite ne s’y est pas trompĂ©e, on a vu s’unir contre nous, les droites religieuses, rĂ©actionnaires, fascisantes, voir nĂ©o-nazies.

D’un autre cĂŽtĂ©, les rangs des cortĂšges de la bataille pour une PMA pour toustes Ă©taient peu fournis, en consĂ©quence de quoi, nous n’avons rĂ©ussi Ă  imposer au gouvernement Macron qu’une PMA au rabais, excluant les personnes trans, ne prenant pas en compte la mĂ©thode de la ROPA(1) et qui dans un contexte de destruction de l’hĂŽpital public, est en rĂ©alitĂ© un parcours de combattantes.

Durant l’étĂ© prĂ©cĂ©dent la fondation du collectif, les LGBTI se sont retrouvé·e·s isolé·e·s face Ă  l’épidĂ©mie de monkeypox qui touchait particuliĂšrement les hommes gays, les personnes trans et les travailleuses du sexe. Nous avons mĂȘme Ă©tĂ© insultĂ© par le dĂ©putĂ© AurĂ©lien PradiĂ© qui n’a d’ailleurs pas Ă©tĂ© sanctionnĂ©. Quelques jours plus tard, c’était la ministre d’alors Caroline Cayeux qui rĂ©itĂ©rait ses propos homophobes rĂ©citĂ©s Ă  l’époque de la manif pour tous. Sans compter le dĂ©ferlement de transphobie orchestrĂ© contre le planning familial et son affiche pourtant inoffensive. Nous subissons une recrudescence de prise de positions transphobes dans les mĂ©dias**.** Nous devons faire front Ă©galement contre les agressions, la peur et les suicides qui nous percutent.

L’autre grand constat c’est la sĂ©rie de dĂ©faites sociales, que ce soit sur la destruction du code du travail, la non-mobilisation face aux attaques contre l’assurance chĂŽmage, ParcourSup, l’émiettement de l’hĂŽpital public
 Cela fait longtemps que nous n’avons pas vu de grandes victoires. En 2010, alors que Sarkozy dĂ©calait l'Ăąge lĂ©gal de dĂ©part Ă  la retraite de 60 Ă  62 ans, les manifestations furent massives et les “secteurs clef” (SNCF, raffineries, transporteurs routiers, Ă©boueurs
 ) Ă©tait tous en grĂšve relativement bien suivie. Et ça n’a pas suffi. Les directions syndicales se contentant de donner des dates de grĂšve Ă©parpillĂ©es ne donnent pas l’impression d’avoir un rĂ©el plan pour gagner. Nous pensons que si la grĂšve impacte plus dans certains secteurs, on ne peut pas compter sur une grĂšve “par procuration”. Il faut que la sociĂ©tĂ© toute entiĂšre se mette en mouvement.

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La tribune LGBTI

C’est dans cette optique que le collectif inverti·e·s a publiĂ© le 17 janvier 2023, une tribune de mobilisation dans TĂȘtu et Mediapart. Celle-ci a Ă©tĂ© signĂ©e par plus d’une centaine de personnalitĂ©s, de militant·e·s, d’artistes, de lieux, de collectifs, d’organisations politiques, syndicales et associatives LGBTI et mĂȘme un soutien international venu de Grande-Bretagne qui nous est trĂšs chĂšre : Ray Goodspeed, membre fondateur de Lesbians & Gays Support the Miners 1984-1985, dont l’histoire a Ă©tĂ© gravĂ© sur grand Ă©cran dans le film Pride. La liste des signataires de la tribune est Ă  observer, analyser et dĂ©cortiquer ici.

Depuis la publication, nous avons reçu de nouvelles demande de signatures, de Sergio Corronado (ancien dĂ©putĂ©), Mathias QuĂ©rĂ© (auteur de Qui sĂšme le vent rĂ©colte la tapette : une histoire des groupes de libĂ©ration homosexuels en France de 1974 Ă  1979), du FRAP (Rennes) de l’association Acceptess-T, et de KAP CaraĂŻbe (Martinique).

Le nombre et surtout la diversitĂ© des signatures est inĂ©dit pour une tribune de dĂ©fense d’une conquĂȘte “purement” sociale. Elle a permis de faire discuter largement dans la communautĂ©. Et de fissurer la frontiĂšre entre questions sociales et questions “sociĂ©tales”, qui selon nous n’as pas beaucoup de sens. Nous pensons que c’est un progrĂšs que les organisations LGBTI s’intĂ©ressent de prĂšs Ă  ces attaques, pas seulement pour faire “de la convergence des luttes” pour la beautĂ© du geste, mais car cette contre-rĂ©forme des retraites nous touche, en gĂ©nĂ©ral et en particulier.

En gĂ©nĂ©ral, car, contrairement Ă  des idĂ©es trop largement rĂ©pandues, nous ne sommes pas hors du prolĂ©tariat, du peuple, des 99% (appelez notre classe comme vous voulez). On ne reçoit pas de carte bleue rose et un appart dans le Marais au moment de nos coming-out. S’il existe des doubles mĂ©canismes de discrimination Ă  l’emploi et d’évitement de certains environnements considĂ©rĂ©s comme hostiles ; il reste que le prolĂ©tariat (allez, on reste sur celui-ci) Ă©tant la classe regroupant le plus de monde, c’est celle dans laquelle se retrouve le plus de trans-pĂ©dĂ©s-gouines. Et donc, de ce fait, les attaques contre le prolĂ©tariat nous concernent directement.

Mais Ă©galement en particulier, car comme indiquĂ© dans la tribune, les personnes LGBTI subissent des oppressions spĂ©cifiques, qui nous rendent d’autant plus dĂ©pendant des services publics. Ce n’est pas une position “victimaire” que d’expliquer les positions singuliĂšres que vivent les LGBTI face au travail.

Expliquer qu’une personne trans qui a cotisĂ© sous deux numĂ©ros de sĂ©curitĂ© sociale diffĂ©rents, liĂ©s au changement d’état civile, doit pouvoir faire reconnaitre tous ses trimestres cotisĂ©s simplement, et que pour l’instant, c’est un calvaire. Montrer aussi l’exclusion du salariat traditionnel que nous subissons. Raconter le VIH/SIDA et les annĂ©es de galĂšre passant de l’AAH (allocation aux adultes handicapĂ©s) au minimum vieillesse ne permettant pas de vivre dignement. Faire en sorte que les femmes lesbiennes qui accĂšdent petit Ă  petit Ă  la parentalitĂ© ne se retrouve pas dans la situation des femmes hĂ©tĂ©ra dont les pensions sont nettement infĂ©rieures Ă  celles de leurs conjoints. Parler Ă©galement de l’exclusion, pour beaucoup, des cadres familiaux et des formes d’isolement Ă  l’arrivĂ©e Ă  la retraite, non pas pour dire que la famille est forcĂ©ment, toujours, une bĂ©quille pour les hĂ©tĂ©ros, ni pour dire que c’est le modĂšle auquel nous nous rĂ©fĂ©rons ; mais plutĂŽt pour envisager une autre sociĂ©tĂ©, dans laquelle les couples mariĂ©s n’ont pas d’avantages fiscaux sur les personnes cĂ©libataires ou non mariĂ©s, et surtout, surtout, pour dire que personne, homo/hĂ©tĂ©ros trans/cis ne devrait avoir Ă  dĂ©pendre de ce cadre familial pour vivre dignement. Ni hĂ©ritage, ni mariage, ni enfants doivent dĂ©terminer notre condition sociale. L’État et la solidaritĂ© sociale doivent permettre l’égalitĂ© de traitement, y compris, si ce n’est plus, quand on ne rentre pas dans la case, dans le bon formulaire, dans la norme.

Bref, si nous n’en parlons pas, personne ne le fait.

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Les pink blocs

C’est donc avec ce double objectif que nous avons organisĂ© des “pink blocs” dans les manifestations de ces derniers jours : pour que le mouvement LGBTI arrive Ă  se sentir lĂ©gitime Ă  parler de “social”, et pour que le mouvement social se sente lĂ©gitime Ă  dĂ©fendre les LGBTI.  Un pink bloc est un cortĂšge unitaire LGBTI dans une manifestation dont la portĂ©e principale n’est pas, au premier abord, une question spĂ©cifiquement LGBTI type “marche des fiertĂ©s”, “manif pour la PMA” ou “rassemblement contre la transphobie”. À l’image du black bloc, le cortĂšge est divers, gazeux, fluctuant, unitaire et ouvert. La diffĂ©rence principale est que ce “bloc” ne se constitue pas uniquement sur une orientation stratĂ©gique ou un mode d’action mais sur des oppressions communes : l’homophobie et la transphobie, mĂȘme si nous savons bien qu’une oppression n’est pas une identitĂ©, et qu’elle ne sert que de “parapluie” pour des rĂ©alitĂ©s trĂšs diffĂ©rentes (incluant en son sein une diversitĂ© d’autres formes d’oppressions spĂ©cifiquement envers les lesbiennes ou les gays ou les bi·e·s et/ou personnes intersexes et/ou personnes non-binaires, etc). Ces cortĂšges permettent Ă  la fois de crier au reste de la communautĂ© que ces manifestations les concernent, et du mĂȘme coup Ă  montrer au reste de notre classe que nous existons. C’est Ă©galement un bon moyen de lutter contre l’homophobie prĂ©sente dans toute la sociĂ©tĂ©.

Quand nous crions “Macron, Macron, on n’t’encules pas ; la sodomie, c’est entre amis” nous disons d’une pierre deux coups au pouvoir que nous le rejetons, et Ă  la manifestation que nous rejetons l’homophobie. Cela fait rĂ©flĂ©chir la sociĂ©tĂ© sur la place qu’elle accorde aux “perçus comme baisable” et aux personnes “perçus comme baisant” aux rapports de dominations, Ă  la sexualitĂ©. En Ă©crivant sur nos pancartes “passif dans le lit, actif dans la rue”,

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nous remettons en cause la vulnĂ©rabilitĂ© supposĂ©e des “perçus comme baisé·e·s ” tout en nous inscrivant dans la lutte collective. Et avec “la retraite Ă  20 ans : pour baiser, il faut du temps” nous pensons briser un peu la chape de plomb de l’ordre morale, tout en rappelant que la retraite n’est pas qu’une question comptable de spĂ©cialistes, mais Ă©galement un choix de sociĂ©tĂ©, une vision du monde. C’est le fameux “perdre sa vie Ă  la gagner” que nous rĂ©futons.

Nous savons que notre classe, comme toute la sociĂ©tĂ©, est traversĂ©e par l’homophobie et nous en avons fait l’expĂ©rience dans d’autres mouvements : affaires des affiches de la CGT Info'Com (Homophobie, sexisme, BDSM... : ces affiches d’une antenne de la CGT ne passent pas) ; ou du piquet de grĂšve sur lequel avait Ă©tĂ© criĂ© aux non-grĂ©vistes “j’aime pas les suceurs de bites”, Ă©vĂ©nement qui avait Ă©tĂ© largement instrumentalisĂ© par la direction de la RATP et ValĂ©rie PĂ©cresse (dĂ©jĂ  elle). Nous voulons ĂȘtre lĂ  pour dire que l’homophobie ordinaire, en plus d’ĂȘtre objectivement contre productive, sont des balles perdues pour nous, car nous avons dĂ©jĂ  bien Ă  faire, Ă  nous battre contre Macron et la bourgeoisie. De plus, nous pensons que ce qui est bon pour les LGBTI est bon pour toutes et tous. Nous comptons bien “invertir” notre classe, donner de l’air, dĂ©coincer car nous n’avons pas de classe bis, et rien ne nous arrachera la tendresse que nous Ă©prouvons pour cette classe Ă  laquelle nous appartenons, avec laquelle nous baisons et qui nous a enfantĂ©. Face Ă  elle, nous vomissons la classe de l’accumulation, de l’égoĂŻsme, du gaspillage et du capital.

Le pink bloc est un vent de fraicheur, un cortĂšge Ă  soi, dans nos diversitĂ©s. Mais nous sommes toujours aux cĂŽtĂ©s de celles et ceux qui veulent  mener la bataille dans les cortĂšges syndicaux, politiques, sectoriels, de leur boĂźte, leur lycĂ©e, leur fac, ou dans les cortĂšges fĂ©ministes avec lesquels nous nous retrouvons naturellement. Nous encourageons Ă©galement l’émergence de cortĂšges spĂ©cifique contre le racisme, ou de militant·e·s Ă©cologistes par exemple. C’est toutes et tous ensemble qu’il faut lutter, c’est toutes et tous ensemble que nous gagnerons !

Investissez-vous, invertissez-vous !

Les premiĂšres dates de mobilisation du 19, 21 janvier et les marches aux flambeaux ont Ă©tĂ© impressionnantes par le nombre, le quantitatif (on pourra jongler avec les chiffres autant qu’on le souhaite). Mais Ă©galement sur le point de vue qualitatif : de la simple question des retraites, nous en venons Ă  parler du travail, de notre place dans le salariat et qui sait bientĂŽt de rĂ©volution !

Ces mobilisations montrent que la rĂ©signation n’est pas, contrairement au pari de Macron, une fatalitĂ© ; et que plutĂŽt qu’assister, blafard, Ă  la destruction du systĂšme de retraite comme les bourgeois assistent au dĂ©rĂšglement climatique depuis le hublot de leurs minables jets privĂ©s, au contraire, nous relevons la tĂȘte.
Nous avons compris que la bataille ne se jouera pas uniquement Ă  l’assemblĂ©e bĂąillonnĂ©e par les “49-3” (adoption sans vote) et autres “47-1” (passage par ordonnance).

Nous nous rappelons qu’il aura fallu six mois de dĂ©bats, de controverses et de violence pour faire passer le “mariage pour tous” qui rendait des droits basiques Ă  quelques un·e·s et que le pouvoir veut voler deux ans de leurs vies Ă  toutes et tous les salarié·e·s par un dĂ©bat de 10 jours.

Nous ne nous laisserons pas faire. Nous ne les laisseront pas faire.
Toutes et tous dans la rue le 31 janvier !
Le rendez-vous du pink bloc est Ă  13h30 place d’Italie devant le bar “le p’tit coco”. Venez avec vos camarades, vos ami·e·s, vos amant·e·s. Nous organisons Ă©galement un atelier pancartes et slogans ouvert Ă  tou·te·s Ă  “la Mutinerie” Ă  partir de 10h30.
Et si vous souhaitez nous soutenir, vous pouvez aider le collectif Ă  organiser ces pink blocs, Ă  acheter les mĂ©gaphones, sono, de quoi faire les banderoles, les pancartes, confettis etc
  avec cette caisse de lutte : www.papayoux.com/fr/cagnotte/pink-bloc-pour-nos-retraites

(1) RĂ©ception des ovocytes de la partenaire, dit ROPA pour les intimes : procĂ©dĂ© de fĂ©condation in vitro proposĂ© aux couples de femmes qui repose sur le partage de la conception du bĂ©bĂ© ente les deux compagnes. Il s’agit d’une double maternitĂ©, nĂ©cessitant le don d’ovocytes de l’une et l’utilisation de l’utĂ©rus de l’autre.

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On se tient au jus pour nos prochaines actus ?
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