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Palestine, les LGBTI pris à parti

Palestine, les LGBTI pris à parti

Nous publions une version longue de la prise de parole du collectif des inverti·e·s à l'occasion de la soirée de levée de fonds 'Gaze on Gaza' [Regard sur Gaza] organisé le 26 octobre 2023 par des collectifs d'artistes aux Amarres à Paris.

Par Les Inverti.e.s ·

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Jeudi 12 octobre 2023, le collectif des inverti·e·s était présent place de la République à Paris pour un rassemblement de soutien à la libération de la Palestine. 

Avec notre goût immodéré pour les rimes riches, nous distribuions notre tract titré “Les trans, pédés, gouines soutiennent la Palestine !”.
Une daronne s’approche d’un inverti. Lui, était beau comme un enfant, fort comme un homme ; elle, avait un voile sur ses cheveux, un peu de noir sur ses yeux. Elle lui dit “J’allais vous donner une “treha” : une claque”. Elle croyait que le tract était homophobe. Je les vois rire. Ils entament une discussion. Il essaye d’expliquer, aidé d’une camarade, le concept de “retournement du stigmate” : Quand on nous insulte, au lieu de baisser les yeux, on relève la tête, et on dit “oui, je suis pédé” comme Aimé Césaire disait “Le nègre vous emmerde". Elle dit qu’elle est croyante, qu’elle ne supporte pas les gens qui jugent les autres à la place de Dieu, qu’elle serait la première à le défendre s’il se faisait traiter de “pédé”. Lui la défendrait si elle se faisait agresser par un raciste islamophobe ou un sexiste.
Cauchemar de Zemmour, il dirait que ce récit, pourtant bien réel, est un délire de wokiste.
Eh bien, les wokistes vous emmerde !
En voyant cette scène, je ne peux m’empêcher de repenser à l’émotion qui m’avait traversé le corps, il y a bientôt dix ans, en août 2014, à Barbès, quand je m’étais pointé en manif Palestine avec une pancarte “Lesbians & Gays Support the Palestinians” alors que Gaza faisait déjà face aux feux israéliens. Je venais de voir le film Pride en avant-première et j’étais encore saisi par ce récit historique de lesbiennes et de gais de Londres qui avaient organisé, dans les années 80, l’entraide, entre leur communauté et des mineurs en grève du Pays de Galle. Tout les séparait, disait-on. Qu'est-ce que des gays et des lesbiennes allaient soutenir ce peuple dit inéduqué et homophobe, la version “Fish for Fish & Chips” du “Chicken for KFC” en somme.
Leur organisation s’appelait : “ Lesbians & Gays Support the Miners”. Dix ans plus tard, je continue de citer ce film à une réunion sur deux des inverti·e·s. À croire que la poétesse Céline Dion avait raison quand elle disait “ On ne change pas.”
L’émotion, donc, que j’avais eu quand une autre daronne, était venue me voir, dans cette manif, pour me dire, elle aussi, merci d’être là, de dire que personne, quelles que soient nos vies, nos orientations sexuelles, nos identités de genre, n’acceptait la situation que faisait vivre les dirigeants israéliens au peuple de Gaza.

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Quand t’es pédé à Paris, dans les soirées, les saunas et les marches des fiertés, souvent, on te tend des prospectus t’invitant à aller danser sur les plages de Tel Aviv. À chaque fois, ça irrite. Mais qui a envie d’aller faire le beau en soirée à quelques kilomètres d’une prison à ciel ouvert, alors qu’un peuple y souffre le martyr. On te dit que c’est le paradis des gays.
Ça fait longtemps que je ne crois plus au paradis.
Quand Bilal Hassani est sélectionné en 2019 pour participer à l’Eurovision en Israël, il est attaqué par tous les homophobes et les racistes de France, qui ne supporte pas d’être représentés par quelqu’un qui symbolise tout ce qu’ils détestent.
Nous, les pédés qui ne ratons pas une édition de ce spectacle, avec trop de voix, trop de ventilateurs, trop de paillettes, on voit surtout que quelqu’un qui nous ressemble enfin, va nous représenter… dans un État suprémaciste qui fait vivre un blocus criminel à Gaza, qui les bombarde, les humilie, les assassine.

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Les militant·es LGBTI du mouvement BDS s’organisent pour dénoncer ce nouvel épisode de pinkwashing. Ils et elles montent sur la scène des sélections de l’Eurovision avec des pancartes “Free Palestine” et des drapeaux. Ils envoient l’un d’eux devant les locaux de NRJ, un jour de neige, pour tendre le livre “Mirage gay à Tel Aviv” de Jean Stern à Bilal, accompagné d’une lettre de soutien face à la vague de harcèlement homophobe et raciste qu’il subissait. Il a confié le livre à sa mère. S’il est encore dans ta bibliothèque, ouvre-le Bilal, j’te jure c’est lé-gen-daire !

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Le bouquin est une enquête très poussée du journaliste et fondateur de l’ancienne revue « Gai Pied » Jean Stern (rien à voir avec la militante transphobe) qui décrit le soft power israélien qui se positionne comme un État « gay friendly » en vantant la soi-disant tolérance et l’esprit de liberté qui souffle dans le pays. Ce positionnement n’est qu’une façon pour le gouvernement de droite conservateur israélien de faire taire les accusations internationales au sujet des répressions perpétrées contre les Palestinien·nes.
Il y décrit comment les autorités israéliennes organisent une communication ciblée sur les hommes gays des capitales occidentales. Comment par exemple Mira Marcus, conseillère presse du maire de Tel Aviv, avait organisé une lune de miel tous frais payés et aux allures de voyage officiel au premier couple d’hommes mariés en France après la bataille du mariage pour tous, alors même que ces deux hommes n’auraient pas eu le droit de se marier en Israël. 

Il raconte comment des équipes de communicants, de marketeurs, et autres diplomates VRP tentent depuis les années 2000 de redorer le blason de cet État, faire oublier “le mur de séparation, Jérusalem et les hommes en noir, l’aspect guerrier et religieux du pays”. Ces équipes s’inspirent de Rio de Janeiro et déclarent “_Quand les gens pensent au Brésil, ils ont en tête l'image d'un pays où l'on peut s'amuser et faire la fête, la samba, le carnaval de Rio, les plages. Pourtant, ce pays est un des endroits les plus dangereux du monde pour les touristes.”_Le livre raconte également la double peine des gays palestiniens des territoires occupés et de Gaza. Jean Stern écrit “S'il y a un endroit dans le monde où la vie est difficile pour les homos, c'est bien la Palestine occupée par Israël, en raison de l'archaïsme d'une société conservatrice et soucieuse du qu'en-dira-t-on, mais aussi car Israël organise leur enfermement, les empêche de rencontrer librement l'âme sœur. C'est le régime de la double peine : à la stigmatisation sociale et familiale s'ajoute le bouclage des territoires occupés et le blocus de Gaza ». Il donne également la parole à des camarades, membre de l’organisation Al-Qaws, association palestinienne LGBT comme Ghaith Hilal qui dit : « Pour nous, palestiniens queers, l'occupation à laquelle nous faisons face et la façon dont Israël s'approprie les droits gays pour nous déshumaniser constitue notre lutte principale. En nous présentant comme des victimes gays, Israël nous utilise pour mieux s'autoproclamer comme notre sauveur et le refuge des gays au Moyen-Orient. »

Il raconte comment les agents des services d’espionnages de l’armée d’occupation pratiquent un chantage à des gays palestiniens qui auraient l’infortune de se faire repérer par ceux-ci, à l’aide de leurs moyens de surveillances qu’on dit être les plus puissants au monde ou Grindr.
Ils ciblent des gays, et les font chanter, les force à donner des informations, et veulent en faire des colabos, “S'ils refusent d'obtempérer, ils sont dénoncés à la police palestinienne qui leur fera subir un sort funeste. S'ils se font repérer, le même sort les attend. Le pays “gay friendly” envoie donc sciemment des homos à la mort.”

Illustration 5

Revenons-en à ce mois d’octobre 2023.
Quand nous apprenons l’offensive du Hamas, que nous voyons les images insoutenables, nous sommes comme tout le monde saisi d’effroi et de compassion. Et avant même de pouvoir réaliser, digérer les images, si tant est qu’elle puisse l’être, la chasse aux sorcières commence. Nous sommes toutes et tous sommé·es de nous exprimer, de condamner et d’employer les termes choisis par d’autres. Le bruit de fond se met en place. On parle de terrorisme, on fait le lien avec le Bataclan, le 11 septembre comme si la quiétude du quotidien d’un pays normal avait été brisée par des sauvages. Nous sentons que quelque chose cloche. Il est très peu fait mention de la situation coloniale, de l’anormalité de la situation avant ce samedi 7 octobre 2023. C’est la politique de la terreur tranquille qui tombe à plat. La tranquillité de l’apartheid est brisée. Le monde est obligé de voir l’horreur de ce qu’il se déroule. Non, cette attaque, aussi terrible qu’elle fût, n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Évidemment, quand on a passé sa vie militante à lutter pour la décolonisation de la Palestine, pour faire tomber le mur, pour que l’apartheid cesse, quand on a vu Tsahal tirer sur les Palestinien·nes lors de la marche pacifique pour le retour, qu’on a manifesté des tas de fois contre le bombardement de Gaza, on pleure pour les personnes israéliennes qui se sont fait enlever, blesser, assassiner, mais on ne pleure pas pour Israël.
Très vite, donc, il faut s’exprimer, les émissions télé se transforment en commissariat. Mélenchon, le social réformiste, est présenté comme un antisémite couteau entre les dents. Un chanteur ringard appelle à la violence contre nos camarades de la France Insoumise.
Darmanin veut dissoudre le NPA (bon courage pour savoir lequel), pour un communiqué dans la lignée de ce qu’ils et elles ont toujours écrit, l’Union Syndicale Solidaires est pris à partie. Un syndicaliste de la CGT est arrêté au petit matin chez lui.
Toutes voix demandant de la contextualisation sont traquées, tout soutien au peuple palestinien est criminalisé, et l’État interdit une nouvelle fois de manifester et de se rassembler.
Dans le collectif, on discute, on débat sur la stratégie que nous devons adopter.
En tant que marxistes, nous nous inscrivons dans un héritage décolonial et pour l’autodétermination des peuples, il nous semble évident de condamner la colonisation comme crime originel.
En tant que trans, pédé, gouines, il nous parait important de lutter contre l’homonationalisme et le pinkwashing pratiqué par l’État sioniste. Nous voulons déjouer cette propagande grossière. Nous sortons donc un communiqué.
D’abord, affluent des paroles de soutien, on remarque le courage politique de ne pas céder à la pression médiatique. Puis, petit à petit, nous commençons à recevoir un flot d’injures, nous sommes repeints en “antisémites”, en “terroristes”, en “collabos”. Nous commençons à recevoir des photos et vidéos insoutenables de crimes homophobes, attribués au Hamas, parfois ils se plantent, c’est Daech, parfois c’est en Irak à plus de mille kilomètres de là… Mais vous savez, pour ces gens-là, “un arabe est un arabe”. “Il y a les gentils occidentaux d’un côté et les sauvages homophobes de musulmanie de l’autre”. La théorie complotiste, raciste et antisémite du choc des civilisations connait sa variante homophobe :  le choc sexuel des civilisations.
Ceux-là n’ont pas lu le récit de Pierre Seel, déporté homosexuel, qui raconte l’Holocauste. Ceux-là nient les luttes acharnées de nos ancien·es qui se sont battu·es contre l’homophobie bien de chez nous.
Ceux-là pensent que l’homophobie est un problème extérieur, étranger.
Ceux-là nient les vies non-hétérosexuelles en Palestine.
Ceux-là veulent faire oublier la responsabilité des colons et des missionnaires anglais dans l’importation des lois homophobes (celles-là mêmes qui ont condamné Oscar Wilde au Royaume-Uni) en Palestine, en Ouganda, en Inde et partout dans le monde.
Ceux-là se font les perroquets des islamistes qui pensent que l’homosexualité est une maladie occidentale.
Ceux-là sont homophobes ET racistes.
Toutes les personnes LGBTI qui se prononcent, de près ou de loin, en faveur des Palestinien·nes sont méprisées, sommées de défendre Israël et de rêver des plages de Tel Aviv ou de se taire. Nous sommes assigné·es à défendre le sionisme. Comme si, d’une part, la société israélienne était monolithique, que les orthodoxes homophobes n’existaient pas, comme si l’extrême droite n’était pas au pouvoir en Israël. Et d’autre part, comme si la colonisation pouvait être une solution. La colonisation française a été justifiée au nom de la diffusion de l’esprit des Lumières, de la création de routes, d’infrastructures. Aujourd’hui, les routes, c’est nous : les trans pédés gouines.
Fallait-il coloniser la Hongrie homophobe de Orbán, le Brésil homophobe de Bolsonaro ou l’Italie homophobe de Meloni ? 
Vous avez du pain sur la planche les gars !
Suite à la publication de notre communiqué, notre compte Instagram a été désactivé pendant une semaine, perdant ainsi quelque temps notre canal prioritaire de diffusion. La bataille de l’information se mène également sur les réseaux, d’autres gros comptes qui s’étaient prononcé en faveur du peuple palestinien ont subi le même sort.

Illustration 6

Jeudi 19 octobre, nous retournons place de la République, il y a un flou sur la légalité du rassemblement. L’arrêté de la préfecture de police a finalement été suspendu par le tribunal administratif. Dans une nasse, avec notre goût immodéré pour les couleurs de l’arc-en-ciel, nous arborons le drapeau des inverti·e·s. Un jeune homme, les yeux battus, la mine triste et les joues blêmes, s’approche de nous. Il demande que nous cachions le drapeau. “On n’aime pas ça nous”. Nous n’avons pas le temps de commencer à lancer la discussion, que deux meufs s’interposent et demande au gars d’aller de l’autre côté de la nasse s'il n’est pas content. L’une d’elle, un keffieh rouge et blanc sur la tête, s’approche de nous, et nous susurre “J’ai réussi à avoir mon pote pédé de Palestine sur WhatsApp tout à l’heure, donc ce petit con, il ne connait rien” et l’autre de nous tendre la main en disant “On est ensemble”.

Il y a quelques années, j’avais fricoté avec un ami palestinien qui avait grandi dans le camp de réfugié de Yarmouk en banlieue sud de Damas en Syrie. Il m’avait confié la souffrance de ne pas avoir le droit de voir son pays, les turpitudes de l’exil, l’éloignement de sa famille. Quand j’avais l’impression à 16 ans que le ciel me tombait sur la tête alors que j’entamais mon coming-out, lui était dans une cabine des toilettes d’un aéroport, de grosses gouttes de sueurs sur le front, à essayer de faire passer son passeport déchiré dans le trou des chiottes, pour pouvoir rejoindre sa mère et sa sœur en France. Alors oui, quand je pense au peuple palestinien, c’est aussi au visage de mon ami que je pense, ses yeux magnifiques, il est bien réel, il existe, il aime les garçons et il est palestinien.

Jean Genet, écrivain pédé français et défenseur acharné des palestinien·nes disait : “Si quand les noirs sont persécutés, tu ne te sens pas noir, si quand les femmes sont méprisées, ou les ouvriers, tu ne te sens pas femme ou ouvrier, alors, toute ta vie, tu auras été un pédé pour rien.”
On rajoute aujourd’hui : Si quand les palestiniens et palestiniennes sont colonisé·es, bombardé·es, martyrisé·es tu ne te sens pas palestinien ou palestinienne, alors toi aussi, tu auras été, toute ta vie, un trans pédé gouine POUR RIEN !

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